Les enfants de mon pays

Amal
2 min readApr 11, 2021
©️Middle East Online

Les enfants de mon pays ne sont pas des enfants.

Ils sont nés adultes, et ils vieillissent chaque jour de leur enfance.

Certains sont nés avec un héritage. Un nom de famille bien reconnu et tout ce qui vient avec: la renommée, la fortune, les ambitions — au sens le plus péjoratif du terme — et le dédain, surtout envers les descendants des “autres familles”.

Certains sont nés pour défendre la cause de leurs parents; un trouble hérité par les gènes et nourri par les paroles, une histoire ou un incident qui a forgé leur identité, leur raison de vivre. Toute autre raison de vivre est un blasphème; revendiquer la leur, tuerait leurs parents une deuxième fois.

Certains sont nés sans savoir à quoi sert une raison de vivre; vivre tout seul, voire survivre, n’est pas facile, faut-il encore avoir une raison pour le faire. Ils aimeraient un jour avoir le temps nécessaire, le toit nécessaire, le pain nécessaire pour penser à une raison de vivre.

Certains sont nés avec des frères martyrs, ils n’ont connu pendant leur enfance, que le deuil et le spectre d’une fratrie volée et une enfance violée.

Remi Bandali “A’atuna Al Tofoulé”, “Sauvez l’enfance”, 1984

Certains sont nés avec une arme à la main, plus grande que leur bras et plus assourdissante que le bruit de leurs voix, et qui aurait tué, en premier et dernier lieu, leur propre enfance.

Certains sont nés sans appartenance, comme rejetés par une société qui ne leur ressemble pas, aussi nombreux qu’ils le soient. Ils sont, en nombre et en essence, le tissu de cette société mais se sentent quand même abandonnés, bousculés, suffoqués, écrasés par une majo-minorité qui les gouverne et écrit les lois qui dominent leurs vies.

Certains sont nés avec un espoir, un rêve d’une vie qu’ils ont entrevue une nuit, entre deux cauchemars, il y a deux décennies. Ils vivent chaque jour pour penser à ce rêve mais ne voient encore, chaque nuit, que de nouveaux cauchemars.

Certains sont nés sans choix, d’autres sont nés avec un seul choix à faire: rester là où ils sont nés, proches de tout ce qu’ils connaissent, mais loins de leur enfance; soit réclamer cette dernière quelques dizaines d’années plus tard, pour leurs enfants à eux, loin de leurs racines, leurs parents, leurs familles et de leur identité qu’ils seraient condamnés à réinventer et à réassurer chacun des prochains jours de leur vie.

Certains sont nés dans le giron perfide des bombardements. Ils ont survécu des guerres en espérant voir un futur plus serein pour leurs enfants.

Ces derniers sont nés, certains d’entre eux ne pouvant fêter au-delà de leurs quatre ans.

Les enfants de mon pays sont à la recherche d’un pays où ils pourront sauver l’enfance future, une enfance que ni leur passé ni leur présent n’ont eu la chance de reconnaitre.

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